SOMMAIRE DE LA CAUDRIOLE N° 19
Juillet-Août-Septembre 2006
Illustration BD
page 2 |
Patrick MERIC |
Edito « qu’est-ce qu’un poète ? » page 3 Jeu de rimes page 4 |
Denise
LEPRETRE Paule LEFEBVRE |
JEUNES |
|
Le saut de l’ange
page 5 |
Stéphanie
BONNEVILLE |
Assortiment… page 5 |
Collège
RENAUD BARRAULT |
Le petit sapin
page 6 |
Thomas
WANESSE |
Pour toi page 6 |
Sébastien
ALLOU |
Comme dans un
rêve ! page
7-8-9 |
LUCIOLLE |
HUMOUR et PATOIS |
|
Quand on est jeune et beau
page 10-11 |
Paul
LAMBRET |
L’orache page 12 |
Jean-Charles
JACQUEMIN |
Le quart d’heure de bon temps
page 13 |
Auteur
Inconnu |
La dragueuse du pays vert page 14-15 |
GRASJACQS |
Les marins ça fait des voyages page
16-17 |
Auteur
Inconnu |
ADULTES |
|
Usure de la vie page 18 |
Claude
SANTER |
Açvine page 18 |
SAINT-HESBAYE |
Mes parents page 19 |
Nicole DUPLOUY |
La falaise et Ciel rose page 20 |
Marie-Antoinette LABBE |
Honte à mon âme page 21 |
Floriane KUROWIAK |
Encore un jour passé sans toi
page 21 |
Anthony
CANONNE |
Possession page 22 |
Christelle
LESOURD |
Prière page 22 |
Claude
BOISSE |
Où êtes-vous ? page
23 |
HERTIA MAY |
Dansent les mots page 23 |
Thérèse
LEROY |
Complainte page 24 |
Geneviève
BAILLY |
Lessive page 25 |
Jean-François
SAUTIERE |
NOUVELLES |
|
La tartine de marmelade page
26-27 |
Gisèle
HOURIEZ |
Dérangements page 28-29-30 |
Danielle
MIELLET |
*
Retrouvez l’auteur dans la revue littéraire. |
|
QU’EST-CE QU’UN POETE ! |
|
|
Un poète, ce
n’est pas seulement quelqu’un qui ajuste les mots et les rimes… aussi doué soit-il !... Ce
n’est pas seulement quelqu’un qui écrit avec son cœur ou ses tripes…
quoiqu’il en faille pour échauffer le poème… Ce
n’est pas seulement affaire d’imagination fertile et colorée… Le
poète, c’est celui ou celle à qui les étoiles et les cailloux ont parlé… à
qui la mirabelle oubliée dans le pré a fait reproche… C’est celui qui entend
des bruits de sources dans les déserts, qui voit des feux de joie là où
s’éteint la vie… C’est l’humble servant de l’immense rumeur du monde et des
hommes, et le découvreur de diamants oubliés dans la poussière… « La
Caudriole » nous a donné la joie d’en entendre quelques-uns… apprentis
ou confirmés. Pardon de ne pas les nommer ici ! Nous parlons aujourd’hui
d’un auteur fécond mais discret… Pudeur ou timidité ? Apprécions l’eau
de quelques-unes de ses petites perles : « Pour colorer les pierres d’écailles je suis seul dans mes ronces, ce soir. « Ici le ciel parle et me dépeint la rue… « Des robes de lumière serpentent dans les écharpes des nuages… « Demoiselle, ô demoiselle ! Vous êtes l’oiseau des insectes et l’insecte des ruisseaux ! « Soleil ! Tu t’émiettes sur le prisme des vitraux enchâssés dans le plomb des ramures. « Quand l’automne s’en revient la forêt change d’arbres… « Et puis ces lentilles d’eau, cette sorte de pellicule vers les derniers méandres du moulin qui sont comme si l’onde avait sué ses
confidences… C’est
d’un homme de chez nous, qui a publié, outre ses recueils de poésie (Eaux
d’Iles d’Ors), un gros dictionnaire sur le symbolisme de la faune et de la
flore. C’est Dominique SOLAU, en poésie « Saint-Hesbaye ». Il est
tout simplement… de Bertry ! Merci
pour les songes qu’il nous a donnés de tisser avec lui ! Denise
LEPÊTRE |
JEU DE RIMES |
|
|
Notre jeu de rimes
n’a pas connu le succès escompté, toutefois, la qualité est au
rendez-vous ! Voici quelques quatrains retenus : On
continue ? Voici 4 autres
rimes que je vous propose pour le prochain numéro : PEUPLIER – COLLIER – IMAGE – CORSAGE Paule LEFEBVRE |
Le saut de l’ange |
|
|
Là-haut dans le ciel, Il a découvert qu’il avait des ailes. Il voyait les autres s’envoler et atterrir, Il a voulu essayer. Du haut de son nuage, Il a aperçu ce visage, Il a sauté, Mais ses ailes ne se sont pas déployées. Peut-être trop jeune et pas assez fort, Le destin avait décidé de son sort. Les quelques anges qui l’ont rattrapé Ont réussi à le sauver. Avait-il fait une bêtise ? Est-ce qu’il se serait envolé ? Depuis, il a une devise, C’est de savoir patienter. Je ne suis pas un ange et je n’ai pas d’ailes, Mais j’avais un rêve, C’était de pouvoir l’aimer, Et comme mon ange je suis tombée. Stéphanie
Bonneville |
ASSORTIMENT |
|||
|
Collège
RENAUD-BARRAULT |
Mon petit sapin |
|
|
Je dois te mettre
dehors parce que tu prends trop de place, place, place…d’abord tu ne dois pas
dormir dans mon lit bien douillet ! Tes
ampoules me piqueront les pieds et tes guirlandes me chatouilleront le nez. Et
quand tu agiteras tes guirlandes, elles me feront mal à la tête. Il
vaut mieux que je te plante dans mon jardin où il y a des haricots magiques,
des radis ensorcelés, des choux-fleurs à l’épinard et des groseilles toutes
salées ! Thomas Wanesse – 9
ans |
Pour toi |
||
|
Nos
chemins se sont croisés Puis
ils ont fusionné Donnant
naissance à « l’Amour » Le
nôtre qui durera toujours À ce moment-là, mon cœur fut tien En espérant que le tien soit mien En
te disant le mot «Aimer » Restons
ensemble pour l’éternité Même
si mon monde est loin Notre
amour est dans nos cœurs Surmontons
facilement ce point Pour
vivre un total bonheur De
temps en temps, les chutes seront là Mais
notre amour se forgera grâce à cela À
deux notre bonheur est infini Alors,
soyons ensemble pour la vie Fille
tu es, Femme tu seras De
ton accord, tu deviendras Mienne,
si tu le désires Positif
sera notre avenir Sébastien Allou - Orchies |
|
|
|
|
QUAND ON EST
JEUNE ET BEAU |
||
|
|
L’ORACHE |
|
|
Chéteu din ches queuds jours équ’ laissant quéïr leurs
fanes Ches blés i’ meurissotent ammi ches camps tout gane ; Pour pensint sur min cas, éje pousseu min royon ; Mais vlà qu’in grous éclair carrié par l’ vent
d’amont ; Buque in queup qu’i ransonne jusqu’au fond d’ ches vallées Et fait guimbader ches bêtes s’éparvaudées. Ches app’s i s’en émeut’ ; tout ches bouts y nin
frémit’t. Longtins, din ches collinn’s’ el tonner’ qu’i breuït. Tout s’ quatit, pi, pu rien. Tout a bouché s’
n’haleine ; Chimetière et calveur n’ sont point pu muets qu’el’
plaine ; In dirot qu’ tout attind, trinsi, grelottant d’ peur, El débaque effroyap’ qu’i vo fair’ no’t malheur. Portant, les laboureurs, i’ s’ont beyé par drière ; Ech
nouach’ monte, i s’ rétend, i s’ gonfe ; el vent d’arrière I s’ flanque éd’dins, i l’ahoque, dind des noirs
tourbillons I l’ bahute
ed bistrac comme inn peugni’ d’ flocons. El jour s’éteut fait vièp’ ; bondé d’grêles, ed tempêtes, Ech tonner’ s’aplouquot, s’aponnot d’sur nos têtes. In détèle au pu vit’ et au mitan d’ sin royon In démar’ sins guigner pour rattraper s’ mason. Ches qu’vos, comm’ des maouss, l’ long d’ech quémin
s’émouquinte’, I tintent ches cailleux, comme ed s’épaf’s qui bazinn’te’. Tout d’in coeup, in éclair comme enn’ feuchile ed fu Cop’ ches nuées d’ bistencoin et vient frôler mes yux. Ech tonner’ buque et claque et s’ trondel din ches
nouaches ; El pleuf à grous battants quet, cliquet’ min visage. Ed d’veunos noirte ed poure, ed graviers ramassés Muche ech qui reste ed’ jour, s’agoute ed sur ches blés, S’y grinche et les tortinn’, pir, comm’ aveuc des
t’nailles, Les déracine et dins l’air fait vir’volter ches pailles. Ah ! Su ch’ qui n’en restot, des grel’s comm’ des
moélons S’ dégrinch’te en cliquotint et s’ décarqu’te à foison. J’au vu el Pierre, oui, j’ai eu toutes les pein’s à
d’emmnés Ploutrées comm’ inn grand’route ou bin écoulinées. Ches ieux mordaint ches riots, et, d’en bas d’ tous ches
camps, Din ch’ fonsé qu’i r’gorgeot, sautin in gargoulliant. Pourtint, j’rent par ch’ courtil, noyé jusqu’à m’
casaque ; Vlà qu’in eut coeup d’éclair tout près d’ mi s’
déclaque ; J’ véyos tout ébeuhi, in plon d’ fu d’in bleu roux Qu’in clique et claque, écliff’ min gueuguier d’bout in
bout. J’ m’in souviendros toudis de s’ t’orache infernal ; Heureu’s’min à nous ter tous i nous a pos fait d’ mal. Jean-Charles Jacquemin Alias
Jean-Charles de Beaumont |
Le quart d’heure de bon temps |
|
|
En bouquinant, j’ai trouvé un jour un texte curieux
dans l’amusant Almanach pittoresque (1861) que des colporteurs vendaient
jadis. Il est intitulé : « Le quart d’heure de bon temps » : L’homme, dont la vie entière Est de quatre-vingt-quinze ans, Dort le tiers de sa carrière, C’est juste trente-deux ans……… …32 Ajoutons, pour maladie, Procès, voyages, accidents, Au moins un quart de la vie, C’est encore deux fois douze ans …24 Par jour, deux heures d’études Ou de travaux font huit ans………………. 8 Noirs chagrins, inquiétudes, Pour le double font seize…………………. 16 Pour affaire qu’on projette, Demi-heure, encore deux ans……………. 2 Cinq quarts d’heure de toilette, Barbe, et cætera, cinq ans……………….. 5 Par jour, pour manger et boire, Deux heures font bien huit ans……… …
8 Cela porte le mémoire Jusqu’à quatre-vingt-quinze ans…………. 95 Hélas ! Comment trouver sur terre Un quart d’heure de bon temps ?... Les Granges 59540
Béthencourt |
LA
DRAGUEUSE DU PAYS VERT |
|
|
Tombé
en panne De
véhicule A
Origny-en-Thiérache, Le
royaume des vaches, Tonton
Décibel, Disk
Jockey De
son état, Transportait
à bout de bras, Et ce
un jour d’implacable canicule, La
musique de la jeunesse d’Hirson Où il
était attendu Pour
un karaoké : Charmante
soirée lorsque les acteurs chantent à l’unisson… Piètre
marcheur devant l’éternel, Les
dix kilomètres à pied Qui
le séparaient de la délivrance Lui
causaient mille souffrances D’autant
que le ciel menaçait À
tout moment d’ouvrir les vannes… Une
cornue vautrée à l’ombre d’un majestueux pommier À un repos
bien mérité l’invitait : « Mon
ami le pèlerin, il sied De
t’allonger en ma compagnie Et de
te délester de ton lourd baluchon : Tu me
parais par trop tendu, Enfiler
des bornes à n’en plus finir sous ce cagnard ingrat N’est
vraiment pas une vie… Ce
que j’en dis, c’est pour ton bien, Il ne
t’en coûtera rien, Pas
même le moindre denier ! Touché
par tant de sollicitude, Le
disciple de Compostelle Qui
n’avait pourtant pas pour habitude De
pousser la ronflette Au
verger, Délaissa
un moment les sévères grimpettes Et
alla s’allonger Contre
le flanc hospitalier. Mal
lui en prit Le
fallacieux animal était très mal appris : À
peine notre dormeur tombait-il dans les bras de Morphée Que
le fieffé bovin aux sabots de fée Extirpa
du sac à malice, Sans autre
forme de procès, Le disque de
l’année : « Le
tango corse »… Comme
chacun le sait C’est
un tango conditionné… Promettaient
les premières mesures. Le
quadrupède amateur de guinguette Entreprit,
à grands coups de baveuse, De
lécher la peau lisse De l’innocent
dormeur Qui
jouissait à souhait d’un sommeil réparateur. Réveillé
en sursaut par l’impénitente dragueuse, Le
pauvre saisit en un éclair toute la démesure De la
scabreuse proposition : Accorder
la danse à la belle Eût
entaché à jamais sa flatteuse réputation ! Qui
eût vu à ces vêpres enlacés l’homme et la vache Eût
sur le champ renié les pommes et la Thiérache ! Mais
c’est là que l’affaire se corse : La
bienséance va tomber du haut du pommier « La lame est déjà
sur l’écorce »… « La
vache et son prisonnier », Mufle
contre joue, Attaquent
une série de fleurons immortels Sous
l’œil goguenard Des
automobilistes rares : En
dresser la liste Eût
été prétentieux, Ils
étaient par le fait trop peu nombreux ! Disk
Jockey n’avait pas le choix Marguerite
avait dicté sa loi : C’était
le tango renversé Ou
les quarante cinq tours aux orties dispersés ! « Entre
deux maux, Il
faut choisir le moindre »… Désormais,
il tenait le bon bout De la
corne Qui
donnait à la belle Des
allures de licorne ! L’honneur
fut sauf : Personne
ne souffla mot ! Sur
ce couplet-là, « off » ! Pas
question de laisser poindre L’indice
le plus infime : En
boîte, faudrait surtout pas qu’une telle affaire se mime ! Grasjacqs. |
LES MARINS, ÇA FAIT DES VOYAGES |
|
|
Il m’avait dit seul’ment : « Je
t’aime ! » Et ces mots-là, ça compt’ tout d’ même. On s’est aimé huit jours, tout plein, Puis il m’a dit un beau matin : « V’là que j’ m’en vais… N’aie pas trop d’ peine, J’ suis un mat’lot… Faut qu’ tu comprennes : Les marins, ça fait des voyages, On rest’ jamais pour bien longtemps. On part joyeux, on r’vient content. Des fois, bien sûr y’ a les naufrages, Mais les retours, C’est tout plaisir, Et nos amours Peuv’ pas mourir. On sait qu’on r’part, on n’a
pas l’ cœur De fair’ du mal à son bonheur. Faut pas pleurer, aie du
courage, La mer est belle. Et puis
dis-toi Qu’on n’y peut rien, ni toi, ni
moi, Et qu’ les marins, faut qu’ ça
voyage. » J’ l’ai vu partir sur son
navire. I’ m’ faisait d’ loin un beau
sourire. Et d’un seul coup, je n’ l’ai
plus vu. Et puis l’ bateau a disparu. La mer chantait d’un’ voix
câline. On a parlé comm’ deux
copines : Les marins, ça fait des voyages, Ça rest’ jamais pour bien
longtemps ! Si’ r’vienn’ joyeux, i’ r’part’
contents, Pour les aimer faut du courage. Mais les retours, C’est tout plaisir, Et leurs amours Peuv’ pas mourir. Le v’là qui part mon pauvr’
bonheur ! Dessus la mer vogue mon cœur ! Mais v’là qu’ je pens’ qu’ y’ a
les naufrages : Sois bonn’ la mer, ne me l’
gard’ pas, Si tu veux bien on partag’ra, Car les marins, faut qu’ ça
voyage. J’ l’ai attendu pendant des
s’maines, Et puis maint’nant c’est plus
la peine. Il m’a fait dir’ par ses amis Qu’i r’viendrait plus, qu’
c’était fini. Il m’avait fait cadeau d’un’
bague. Je l’ai jetée au creux des
vagues. Les marins, ça fait des
voyages. On les espèr’ pendant
longtemps. Y’ en a qui r’vienn’, de temps
en temps, D’autr’ font voler l’ cœur au
passage. Y’ a plus d’ retours ! Y’ a plus d’ plaisirs ! Y’ a plus d’amour ! Y’ a qu’à mourir ! Celui qu’ j’aimais, i’
r’viendra pas, Et puis si’ r’vient, i’
r’commenc’ra. Car les marins, faut qu’ ça
voyage, Ça court toujours vers d’autr’
bonheurs, Et ça nous laiss’ avec not’
cœur, Not’ cœur fané, pour tout
partage. AUTEUR INCONNU |
Usure de la vie |
|
|
Assise sous un vieux chêne, je sens les premiers
signes de vieillesse. Le soleil et le vent m’ont laissé des rides et
je me sens engourdie par des frissons qui irritent le coin de mes paupières. Je n’ose me retourner de peur de faire fuir les
animaux qui, autrefois, me chérissaient. Il ne me reste plus qu’à regarder la
transparence de la rivière, ravivée par des bouffées de tendresse. Là, je retrouve les plaisirs du silence. Mais mon dos me fait mal, mes pieds sont douloureux… Il me
faut rentrer… Claude Santer
Cambrai |
Mes parents |
|
|
Je veux vous parler
de ma mère Une personne qui m’est chère Je dois vous dire quelque chose De son prénom elle s’appelle Rose Mon père l’appelait Rosita fleur d’amour Ma fleur pour toujours Je la revois encore pédalant Sur sa machine cousant Des chemises en coton Des combinaisons en nylon Mon père me berçait en sifflotant Elle l’accompagnait en chantant Sur mes jeunes années Mes souvenirs sont restés. Nicole Duplouy |
FALAISE |
|
|
Seule Personne ne m’attend Que faire de mon temps ? Seule Je quête un regard Mendie les égards Seule Ma vie surbookée Reste inoccupée Seule Mon cœur embourbé Voudrait se sauver Seule Il faut occuper Cet esprit désoeuvré Seule Prendre un taxi Chercher la vie Seule Rouler rouler rouler Chercher chercher chercher Seule Craquer jusqu’au malaise Se jeter de la falaise SEULE Marie Antoinette Labbe CIEL ROSE Ciel rose, ciel bleu,
ciel léger Taille mince, soigneuse,
appliquée Tu ressembles à un menuet D’un même geste répété Tes cheveux tu fais
ruisseler En un flot sombre et
mordoré Ton corps a d’invisibles
ailes Ton âme vole en
étincelles Comme si tu étais
éternelle Marie Antoinette Labbe |
Honte à mon âme |
|
|
Honte à moi Paix à mon âme Fatiguée, exténuée,
épuisée Délivrez-la de mes pleurs Honte à moi Impure est mon âme De cette immorale
inexpliquée Je ne trouve que rancœur Honte à moi Douleur dans l’âme Si je pouvais me tuer J’arracherais mon cœur Honte à moi Je n’ai plus d’âme Délivrance suprême,
assassinée Etouffée sous mes erreurs Floriane Kurowiak 6 novembre 2004 |
Encore un jour passé
sans toi |
|
|
Encore un jour passé sans toi Une nuit à pleurer mon désarroi Dans un monde trop grand pour moi Où tu me manques pas à
pas Encore un jour passé sans toi Le cœur submergé d’effroi Une journée faite de solitude Etre seul devient une habitude Encore un jour passé sans toi Ces journées où rien ne va Où tout s’écroule autour de moi Où vivre ne m’intéresse pas Encore un jour passé sans toi, Sans ta gentillesse, ni tes bras Ta présence m’est si indispensable La vie sans toi est insupportable Encore un jour passé sans toi Où vivre, je ne le sais pas Le temps s’arrête peu à peu Je m’éteins à petit feu Antony
Canonne |
Possession |
|
|
Joli
matin ne sois plus chagrin Mon
désir est certain Qu’il
me revient Joli
jour célèbre notre amour Fais-en un tour Afin
qu’il dure toujours Mais,
ne deviens pas nuit Sans
que je sois près de lui Car
quand mon être s’endort Je
sens mon cœur se fendre Mon
âme l’attendre À
tort ou à raison J’aime
être en sa possession Christelle Lesourd |
Prière |
|
|
Voler juste un instant
dans la fragilité Rien de plus qu’un
soupir sur une partition Le moment suspendu
d’une respiration Qu’on voudrait retenir
pour une éternité. Un instant de coton
douceur sur la peau triste Une seconde implacable
dans sa sérénité Celle qui est si
parfaite qu’on en vient à douter Si elle n’est que rêvée
ou bien si elle existe Un moment que les mots
ne peuvent pas décrire Un souffle qui
réchauffe la pire solitude La caresse qui efface
doute et incertitude Cet instant que jamais
rien n’oserait ternir Je n’en voudrais qu’un
seul de ces instants magiques À garder dans mon cœur
avec mes souvenirs Qui me consolerait au
moment de mourir Et m’accompagnerait
d’un sourire angélique. Claude Boisse |
Où êtes-vous ? |
||
|
|
Dansent les mots |
|
|
Dansent les mots, Font des ronds de
sorcières Dansent les phrases, Font des rondes
enfantines Spirales joyeuses se
mêlent et se nouent Arabesques burlesques Chantent les mots, Font de jolis poèmes Chantent les phrases, Font de belles prouesses Au bout de ton crayon, Bulles de savon, Légères, s’envolent. Thérèse Leroy 2003 |
Complainte |
|
|
Déjà l’été
s’endeuille, Un soleil
buissonnier Vient caresser les
feuilles Sous le vieux
marronnier. Dans les pleurs de
l’automne, Semblable au ciel
chagrin, Elle rêve et
fredonne Ce lancinant
refrain : Laissons là nos chimères Et s’envoler le temps. Trop d’amours éphémères Sillonnent les printemps. D’une saison à l’autre Un espoir prétentieux Trépasse, ou bien se vautre Dans un cœur oublieux ! Par le pont, la
rivière, Le buisson mordoré, Du champ à la
clairière Le refrain éploré A rejoint le
nuage ; Mais en larmes sans
bruit Retombe ce message Dans le jour qui
s’enfuit : - Oubliez ces
chimères Savourez chaque
instant Et vos âmes légères Revivront leurs
vingt ans. Si d’un désir à
l’autre Vous voici
désarmés, Ce regard dans le
vôtre, C’est la grâce
d’aimer… Geneviève Bailly |
LESSIVE |
|
|
Les chaussettes de
Josette Propres,
sur le fil tendu Dans l’air tiède qui
s’y prête Sèchent,
signe inattendu. L’imagination
fertile Dépassant
le contenant Voit
le contenu gracile : Deux
pieds au contour charmant. Et
le rêve bien en place À
petits pas mesurés S’en
vient, redoublant d’audace, Futurs
instants savourés. C’est
alors qu’au fil bien sage, Tel
un drapeau dans le vent, Apparaît
le blanc corsage De
Josette, joliment. Qu’il
est doux sans plus attendre D’y
voir deux tétons tentants Qui
se laisseront surprendre Par
les baisers débutants ! Et
ce jupon qui s’agite N’est-t-il
pas le sien, léger, Bleu
pétale d’Aphrodite Que
le vent veut propager ? Il
cache, longues et fines, Des
jambes que l’Amour fit Celles
qui, tu l’imagines, Mettront
plus d’un au défi. Jupon,
chaussettes, corsage, Vous
recouvrez tant d’amour Qu’il
apparaît bien dommage À
ce cher fil prévu pour De
ne pas, simple anecdote, Voir
balancer sa culotte. Jean-François Sautière |
LA TARTINE DE MARMELADE |
|
|
J’avais six ans
lorsque survint l’invasion allemande de 1940, je vivais avec ma sœur Anna
âgée de 20 ans, dans un petit village du Cambrésis, mes parents ayant disparu
au cours d’un bombardement, lors de l’exode. Ma sœur avait dû
cesser son travail de secrétaire, et travaillait provisoirement dans une
exploitation agricole, chez nos voisins et amis, Lucien et Renée. Anna m’avait mise
en garde, m’expliquant que des soldats allemands s’étaient mal comportés dans
certaines régions de France ; malgré cela, leurs uniformes vert-de-gris,
leurs bottes de cuir noir, leur maintien, me fascinaient. Le village
s’était organisé tant bien que mal, malgré la présence ennemie et les
privations : la vie reprenait son rythme, et doucement Anna remplaçait
mes parents : sa tendresse venait à bout de mon chagrin. Je fréquentais
l’école du village située dans la rue d’en face, et sur mon trajet, je
croisais, chaque matin, un officier allemand qui ressemblait étrangement à
l’un de mes oncles : ses cheveux blonds, ses yeux très bleus, et surtout
son sourire, me rappelaient « mon Tonton Charles ». Bizarrement,
cet allemand me dévisageait lui aussi, avec beaucoup d’insistance. Puis, un
matin, il m’arrêta, et m’offrit une tablette de chocolat ; je le
remerciai vivement et courus vers l’école, me souvenant des recommandations
d’Anna. Mais le soir même, l’officier m’attendait à la sortie et me présenta
une tartine de pain de seigle recouverte d’une épaisse couche de marmelade,
j’avais très faim, et sans bien me rendre compte, j’engloutis la tartine en
quelques minutes ; la marmelade avait dégouliné sur mon tablier d’école,
je m’étais barbouillé le menton et les mains, et je ne savais pas très bien
comment m’en sortir, mais je m’étais régalée. L’Allemand sourit, et vint à ma
rescousse en dépliant un grand mouchoir qu’il me tendit, puis me demanda en
excellent français : « Quel est ton nom, mignonne ? Tu
ressembles à la petite fille que j’ai laissée en Allemagne ! Moi, je
suis Karl. » N’étant pas d’un naturel timide, je lui répondis que je me
prénommais Marie, et que son visage me rappelait « Tonton Charles »
parti pour la guerre. –« Alors, dit-il, tu peux m’appeler Tonton, au
revoir, Marie ! »- Il s’éloigna lentement, tandis que je courais
raconter mon aventure à Anna, certaine de la voir sourire. Mais ma sœur se
fâcha, m’interdisant d’accepter les friandises de cet Allemand, et
m’ordonnant de ne plus m’arrêter en chemin. Pourtant, le lendemain,
« Tonton Karl » m’apportait à nouveau chocolat et bonbons, et
m’attendait le soir, tenant une tartine de marmelade dans un grand mouchoir
blanc. J’eus envie de fuir, mais la tentation fut plus forte : j’avalai
la tartine en remerciant Karl, et me mis à courir jusqu’à la maison : je
ne racontai rien à Anna. Et chaque jour, durant des semaines, il me fut
permis de déguster cette tartine délicieuse : Karl était devenu, tout
naturellement, « Tonton », je n’y voyais aucun mal. Mais nos
rencontres avaient été remarquées par certaines personnes, jusqu’à ce jour
où, au cours d’une dispute en récréation, un élève plus âgé de ma classe me
jeta au visage ces paroles horribles : -« Ta sœur n’est qu’une
collaboratrice et une putain d’allemand ! »- Ulcérée, je courus à
la maison en sanglotant, pour me confier à Anna, lui avouant tout. Elle ne
fit aucun commentaire .
Le lendemain, le front soucieux, elle m’accompagna en classe pour rencontrer
Karl ; tous deux s’expliquèrent, et je ne revis plus
« Tonton », jusqu’à ce départ précipité des troupes
allemandes : « IL » entra dans la classe ce matin-là, me prit
dans ses bras, me serra longuement, et je vis briller deux larmes dans ses
yeux bleus. J’avais noué mes petits bras autour de son cou en pleurant ;
sa présence m’avait manqué, il avait remplacé, durant quelque temps, dans mon
cœur d’enfant, ce père que j’avais perdu, mais personne ne comprit. Vint la
libération en septembre 1944 : les forces françaises intérieures
entrèrent dans le village arborant les drapeaux tricolores, accueillies par
une population en liesse. Anna était rayonnante de joie, et avait également
sorti un petit drapeau français. Elle était occupée à le fixer à la fenêtre
lorsqu’une « traction » noire s’arrêta devant la porte :
quatre hommes en surgirent portant les brassards F.F.I. Ils empoignèrent
Anna, la traînant de force dans la voiture. Aux cris poussés par ma sœur, je
m’étais précipitée : je fus écartée, me retrouvant seule et terrifiée au
bas de l’escalier. Je repris mes esprits rapidement, et courus pour tenter de
retrouver Anna : personne ne put ou ne voulut me renseigner parmi
l’attroupement qui s’était formé. Je rentrai à la maison en sanglotant, me
demandant avec angoisse où « ILS » avaient emmené ma sœur :
Lucien et Renée partirent à sa recherche, sans succès, quand soudain
j’entendis des cris, et la musique nasillarde d’un pick-up : je me
précipitai et restai pétrifiée d’horreur : quatre femmes étaient juchées
sur une camionnette, les cheveux complètement rasés, une croix gammée peinte
en noir sur le front, et parmi elles : ANNA ! Les yeux hagards,
elle semblait ne rien voir, ne rien entendre : elle était là, debout,
figée, exposée aux regards de tous, et les injures fusaient de toutes parts.
Brusquement je compris la méprise, malgré mon jeune âge : j’étais la
seule responsable de ce drame : c’était moi qui avais sympathisé avec l’ennemi,
et c’était elle qui en subissait le châtiment. Je vivais un cauchemar !
Lucien et Renée m’entraînèrent hors de ce spectacle insoutenable… Anna rentra très
tard le soir, le regard fixe, le visage blême, et s’allongea sans un mot.
Lorsque je voulus l’approcher, elle me repoussa presque brutalement. Elle
resta prostrée durant plusieurs jours, puis un matin je la trouvai
debout : elle portait un turban blanc, et me servit mon petit déjeuner
sans un mot : pâle, les mains tremblantes, elle restait absente.
Pourtant, huit jours plus tard elle reprenait son travail à la ferme. Nos
amis l’avaient beaucoup aidée. Moi, je n’osais plus la regarder. Renée avait
tenté de rétablir la vérité afin que cessent les commérages, mais c’était
trop tard : Anna n’était plus que l’ombre d’elle-même tant elle
maigrissait et son sourire avait disparu. Je l’observais souvent le soir,
elle pleurait durant des heures, le visage entre les mains. Blessée,
meurtrie, elle souffrait terriblement et même si ses beaux cheveux bruns repoussaient
lentement, elle gardait en elle une cicatrice indélébile. Je respectais ses
silences, mais les soirées me paraissaient très longues. J’aurais tant voulu
me faire pardonner ! Puis un soir, en
rentrant de l’école, j’aperçus deux valises posées sur la table :
« Nous partons », me dit Anna, -« nous quittons la maison.
J’ai trouvé un emploi en Charente, et j’ai loué un petit appartement ;
tu iras en classe dans une école toute proche. »- J’appris par la suite
que nos amis l’avaient guidée pour
obtenir ce travail. Je pleurai longuement dans le train qui nous emmena, et
ce fut ma sœur qui, cette fois encore, me consola : -« Je suis
là, »- me dit-elle, -« sois sans crainte, nous allons oublier et
vivre heureuses ensemble. »- Et nous fûmes
heureuses ! Cet épisode dramatique de notre vie s’estompa peu à peu.
Anna devint rapidement une employée qualifiée, ce qui me permit de poursuivre
mes études. Puis je réussis un concours administratif, après quoi je
rencontrai celui qui devait devenir mon mari. Quelque temps après notre
mariage, Anna m’annonça son départ : elle entrait en religion ; les
hommes l’avaient trop blessée, elle avait pardonné, mais ne pouvait
oublier : je perdais ma sœur pour la seconde fois. Quand je revis
« Sœur Anna » dans son habit religieux, elle me parut plus belle
encore. Sereine, elle avait, je crois, trouvé le bonheur. Anna est décédée,
il y a quelques années ; son souvenir reste très présent en moi, tout
comme ce regard bleu, ces cheveux blonds, ce sourire empreint de bonté, et ces
tartines de marmelade… Gisèle
Houriez . |
|
Dérangements Imaginez deux vieilles dames très dignes. Suranné ?... Pas du
tout. Rejoignons leur univers, au cœur d’un minuscule village du Nord de la
France. De part et d’autre d’une rue étroite s’alignent de sages maisons de
briques rouges. Comme il a plu, l’eau dessine d’étranges reflets moirés sur
les pavés tout ronds. En approchant flotte un air de musette délicieusement
rétro. Il vient de la maison d’à côté. De la nôtre filtre juste un cliquetis
régulier. À l’angle du perron, un gros chat roux tout débonnaire s’étire
intensément. Sous les voilages garnis de macramé, des balconnières de
géraniums roses cascadent dans l’air humide du dehors. Tout est calme. Le
cliquetis, l’arôme délicat du café qui passe, c’est tout. Ah non ! Pas tout à fait. En tendant l’oreille on saisit parfois
un murmure… Singulier. Rien de bien terrible, en tout cas rien qui puisse
laisser présager un jour différent des autres. Pourtant, Madame Rose est
inquiète. Madame Jeanne a l’air préoccupée. Au point même d’enfreindre sa
réserve coutumière. Les révélations qu’elle laisse échapper bouleversent un
silence devenu étouffant, et avec leur faux air de confidence, résonnent de
façon incongrue au sein de la cuisine. Comme elle termine une deuxième manche,
elle déclare brusquement que son fils est devenu si riche qu’il conduit des
automobiles qui ressemblent à des paquebots. Rose hoche rêveusement la tête.
Absorbée par son ouvrage elle hoche longuement, accompagnant les battements
sourds de la grosse horloge posée près du buffet. Tic-tac. Tic-tac. Jeanne lève un sourcil critique. Rose ressemble à cet instant aux
chiens de carton-pâte, ridicules et parfaitement « Kitch » qui se
trouvent à l’arrière de certaines voitures. Prête à toutes les connivences et
comme pour acquiescer, Rose opine du bonnet avec régularité. Heureusement le
téléphone sonne : - Allons bon ! Avec un profond soupir, Jeanne appuie lourdement la main qui ne
retient pas son tricot contre la toile cirée, et dans un mouvement qui semble
empreint de mille précautions, se lève pour s’éloigner à pas comptés. Le
mouvement mécanique n’a pas cessé. Les aiguilles s’entrechoquent
régulièrement. Cependant, l’œil avide de Rose s’est coulé derrière les verres
épais de ses lunettes pour accompagner le cheminement furtif. Elle a beau
tendre le cou, elle ne parvient pas à percer le mystère. Le timbre est trop
lointain pour en saisir le sens. La revoilà ! Ses aiguilles s'activent
quand l'autre en s'installant annonce : -C'était une erreur... Et replonge immédiatement dans son occupation.
La danse alerte des aiguilles reprend. Le cliquetis se poursuit, s'arête le temps qu'il faut pour tirer la
laine, repart dans un silence pesant. Observons attentivement ce bien-être
apparent : De temps à autre survient une profonde et soudaine inspiration,
désespérée, comme si par une sorte de pudeur indéfinissable, l'une n'osait
dire à l'autre ce que celle-ci brûle d'entendre. La tête obstinément baissée,
les deux vieilles dames se comportent en automates que rien ne semble pouvoir
troubler. Sauf peut-être, cette sonnerie stridente : -Ah, mais ! Indignée, Jeanne se hisse. On dirait qu'elle est partie plus vite,
elle doit être pressée d'en finir. Quelques vagues bribes, et la silhouette
chétive reparaît. L'air affairée elle redresse ses coussins, et d'une voix
qui se veut rassurante : -Tout va bien, ne vous inquiétez pas ! Rose n'en saura pas plus. La curiosité la taraude, mais pas un mot ne
franchira le seuil de ses lèvres. Elle a trop de générosté pour transgresser
cette stupide discrétion, certaines révélations demandent de la confiance. À
force d'écoute, Jeanne finira assurément par se livrer, il faut lui en
laisser le temps. De plus, ça lui est déjà arrivé : -C'était l'hiver dernier, relate Rose, pendant la vague de froid.
Malgré les sages conseils du Docteur, vitamines, vaccins, repos, chaleur,
bref, tout le tintouin et j'en passe, Jeanne avait chopé la grippe. Une très
mauvaise grippe, compliquée d'une fièvre terrible, suffisamment carabinée
pour être contrainte de garder le lit. Bien entendu je me suis tout de suite
dévouée ! Chaque matin vers 10 heures je lui portais le déjeuner, et chaque
après-midi après la sieste je lui déposais une bonne soupe passée pour son
repas du soir. Des liens se sont créés, inévitablement ! Par la suite nous avons pris
l'habitude de partager de belles heures paisibles à tricoter... La sonnerie reprend, interrompant le fil de ses pensées. Jeanne est
partie si vite que la porte du séjour est restée entrouverte. Quelques mots
bien clairs éclatent dans l'autre pièce : -Tout va bien ? Vous êtes sûr ?... Bon. Elle semble presque déçue. Un
temps mort se prolonge. Finalement la voix conclut : -D'accord, d'accord, alors à bientôt ! Sur un ton un peu
condescendant. Elle revient se remettre à son ouvrage. Rose, qui pense « Tiens, tiens... » Tout en poursuivant
imperturbablement sa manche, reprend le fil perdu un court instant : Jeanne se remettait donc lentement de sa mauvaise grippe, quand par
malchance sa guérison faillit être compromise. En effet le colis, envoyé
chaque année pour Noël à la mission de Soeur Marie, n'était toujours pas
parti. Jeanne, fébrile, s'agitait, et son agitation faisait monter la fièvre.
Inflexible, le Docteur Bernard avait été catégorique « Que je vous
prenne à sortir et je vous expédie tout droit à l'hôpital ! »
Catastrophée, Jeanne tremblait, et de sa voix chevrotante s'efforçait de me
convaincre : « Ces pauvres enfants ne trouveront rien dans leur soulier
! Ils ont déjà tout perdu et même ce petit bonheur-là leur sera refusé
! » Je n'ai fait ni une ni deux, je lui ai aussitôt proposé de me
charger du colis. Pour ce qui est du réveillon ma fille n'aurait qu'à venir
me prendre plus tard. On ferait d'une pierre deux coups : elle m'expliquerait
la procédure habituelle, je m'occuperais de l'envoi, et je reviendrais
attendre ma fille chez elle. De cette façon nous pourrions en profiter pour
goûter au délicieux cake aux noix dont Odile a le secret. Mais ensuite j'ai
ajouté « Ne vous chagrinez plus, allez ! Noël est avant tout la fête des
petits enfants ! », et je n'ai pu m'empêcher de laisser mon regard se
poser sur le cadre du buffet dans lequel sourit un angelot blond. Alors là sa
réaction m'a sidérée : -Six ans que je ne l'ai pas vu ! Il n'a pas le temps. Ses petits à lui
si je les croisais, je ne les reconnaîtrais même pas ! Une grosse larme avait roulé sur la joue parcheminée. Rose en était
encore toute retournée. Elle avait fini par se dire qu'elle avait dû mal
comprendre, c'était trop invraisemblable, l'enfant du cadre avait l'air si
gentil ! Toute à ses pensées Rose incline la tête pour détailler le petit
garçon du buffet... La sonnerie qui les surprend la rappelle à la réalité. Elle n'a pas le
temps de voir partir Jeanne, dont chaque mot retentit dans le silence
tranquille : -Bien ! C'est d'accord. Pour l'instant tout va bien. Très bien ! Oui.
Surtout n'hésitez pas, rappelez-moi quand vous voudrez ! Bon. À plus tard
alors ! Jeanne a bien de la chance. Elle n'a jamais le temps de s'ennuyer...
Tous ces amis qui prennent de ses nouvelles ! Et des gens bien ! Pensez, ils
communiquent par téléphone ou par l'Internet ! Rose imagine une vie débridée, riche, à « cent à l'heure »
comme on dit. Elle envie Jeanne. Elle va même jusqu'à regretter l'image un
peu désuète qu'elle donne d'une bonne grand-mère gâtant ses petits enfants
avec des gaufres et du quatre-quart à la confiture. Elle gamberge avec enthousiasme
jusqu'à ce que le téléphone fasse réentendre un appel percutant. Agacée,
Jeanne ne manque pas de la rappeler à l'ordre : -Mais enfin Rose ? Où diable avez-vous la tête ? Qu'est-ce qui vous
prend de serrer les cols de cette façon ? La pauvre femme en est si contrite qu'elle baisse le nez, pendant que
sa virulente amie s'éloigne à pas vifs. Elle ne peut pas voir à quel point
celle-ci rumine, malheureuse et déçue. Elle pensait faire l'intéressante. Elle voulait épater cette Rose, à
qui la fille confie régulièrement ses drôles de petits diables. Dieu qu'ils
sont mignons ! Est-ce que cette gourde se rend seulement compte du privilège
qu'elle a ? Elle est gentille, c'est sûr, mais sa manie de remuer en cadence
sa permanente en forme de choux est réellement exaspérante. Et curieuse avec
ça ! Elle est là à guetter, épier, et même à fixer Christophe, dans son
cadre. Pourquoi elle ne demande pas ? Tant pis pour elle, elle ne saura rien
! Comme elle rejoint la cuisine pour servir le café, Rose, qui veut se
faire pardonner, lui sourit avec chaleur et lui apprend tout de go que sa
belle-fille attend un heureux événement. Jeanne a de la fierté. Elle réprime
non sans mal un sursaut d'amour-propre et prend sa décision... Cette fois, quand le téléphone
sonne, Rose n'a pas à tendre l'oreille. La porte reste ouverte et chacune des
exclamations retentit clairement jusqu'à elle : -Ah oui ? C’est gentil d'appeler. Alors tout va bien ? -... -Donc, vous vous décidez enfin à me rendre visite. -C'est très bien ça ! Vous savez bien que vous serez toujours les
bienvenus ! -... -Surtout dites bien aux enfants que même s'il n'y a pas de kangourous
ils pourront s'amuser quand même. -... -Ah, et tant que j'y pense, évitez d'appeler si souvent d'Australie,
ça n'est pas la porte à côté et la note risque fort d'être salée. Allez, à
bientôt ! Bisous à vous tous. Rose est comblée. Elle comprend enfin l'acharnement de Jeanne à
apporter un peu de bonheur aux bébés africains de la mission. Les siens sont
si loin ! Imaginez, l'Australie ! Avec un nouveau sourire insistant elle se
promet de présenter Jeanne à tout son petit monde : Sa fille Odile et les
petits dès mercredi prochain, et par la suite, son fils Georges et sa jeune
femme Marion. L'âme en paix, Jeanne répond à son sourire, la curiosité de
Rose est satisfaite. Bientôt celle-ci deviendra sa confidente et résoudra tous ses
problèmes, mais elle ne le sait pas encore. Pour l'instant elles vont tacher
de terminer le prochain colis sans plus se laisser importuner par le
téléphone... À l'autre bout du fil l'employé des Télécoms est resté médusé. Puis il
s'est mis à tourner en rond dans la pièce en se grattant le crâne avec son
feutre vert. -Reprenons, reprenons ! Fallait faire des essais... Ten es certain au
moins ? Le collègue des dérangements a confirmé : -Hum, hum ! Il y avait de la friture sur la ligne. La cliente était
prévenue ? -Evidemment ! Elle a même choisi le jour. Je devrais dire Exigé.
Celui-là et aucun autre, et insisté pour que l'on fasse plusieurs contrôles,
le plus souvent possible. -Et alors ? -Au début, rien d'anormal. Ensuite elle s'impatiente. Elle m'envoie
vertement promener. Et finalement décide que je passe chez elle. Ce qui n'a
pas été prévu. Et c'est quoi cette histoire de prendre des enfants ? Je ne
suis pas marié ! Je deviens fou avec tout ça. Je n'y comprends rien. Voilà en
plus qu'elle me raconte des fariboles au sujet de kangourous ! Je me demande
si je suis vraiment fait pour ce boulot moi ! Son collègue a haussé les épaules : -T'en fais pas vieux ! Ici c'est quelque chose de fréquent. Dans le
fond ce n'est pas bien méchant ! -Et les kangourous ? -Tu es sûr d'avoir bien compris ? Par ici c'est plutôt rare. Ou alors
dans les zoo... Et encore ! Tu t'es trompé de numéro ! Calme-toi, je me
renseigne. Madame Jeanne a brusquement lâché ses aiguilles, et s'adressant
innocemment à Madame Rose : - Je donnerais cher pour savoir pourquoi il faut que mon téléphone
soit toujours en dérangement ! Danielle MIELLET |